Brève histoire de la biopolitique au Sénégal. La mise en ordre hygiéniste de la société

Auteurs

  • Adama Aly Pam

DOI :

https://doi.org/10.57832/ga.v1i2.74

Mots-clés :

politique sanitaire, hygiène, discrimination, médecine occidentale, surveillance, bio-politique, gestion des épidémies, médecine tropicale, colonisation, institut Pasteur, pastoriens

Résumé

L’histoire de la médecine coloniale en Afrique est aussi celle de l’instauration d’un ordre politique et idéologique théorisé par les médecins coloniaux. Cette étude est une contribution à l’histoire de la traque des miasmes et des virus dans les lointaines contrées d’Afrique, considérée comme « le tombeau de l’homme blanc » et interroge les pratiques de la bio-politique et de la gouvernementalité associées à la mise en ordre des sociétés colonisées à travers les politiques de santé publique qui ont durablement laissé leur empreinte sur l’espace et les corps. La faiblesse de l’historiographie francophone autour des questions de l’histoire de la santé dans les possessions françaises d’Afrique a été pendant longtemps freinée par la justification de l’action médicale comme un bienfait justifiant l’entreprise coloniale et la mission civilisatrice de la France. S’interrogeant sur les interactions qui ont prévalu entre santé et colonisation, les auteurs anglophones font intervenir la nouvelle médecine en tant qu’acteur primordial de l’entreprise coloniale et estiment qu’on ne peut analyser l’une sans l’autre.

Certains auteurs ayant abordé la question de la fièvre jaune expliquent son introduction en Afrique par le biais du commerce triangulaire des esclaves entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique. Face à la réputation d’insalubrité des colonies, la pacification biologique – plus que la pacification politique – était le préalable de toute œuvre de conquête. C’est au début du XX e siècle qu’une nouvelle politique tournée vers la protection de la population « indigène 1 » est mise au point.

La politique sanitaire se tourne alors vers la question démographique. Devant la difficulté de soumettre les indigènes à l’hygiénisme, d’une part, à cause des quarantaines, des vaccinations obligatoires et des cordons sanitaires et, d’autre part, parce que les indigènes étaient considérés comme des réservoirs de virus où toutes les maladies contagieuses prenaient leur source, l’administration s’est progressivement résolue à une politique de mise à l’écart de la population dans des quartiers interdits aux Européens et assimilés. La recherche médicale s’est servie du corps des indigènes comme cobaye et ces pratiques du passé amplement documentées par les archives médicales ne cessent de revenir dans les discours des groupes opposés aux politiques de vaccination actuelles.

Biographie de l'auteur

Adama Aly Pam

Adama Aly Pam, docteur en histoire, université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal ; chef archiviste de l’Unesco, Paris, France

Références

I - Ouvrages et articles

Arnold, D., 1988, Imperial Medicine and Indigenous Societies, Manchester: Manchester University Press, 258 p.

Arnold, D., 1993, Colonizing the Body. State Medicine and Epidemic Disease in Nineteenth-Century India, Berkeley : University of California Press, 368 p.

Curtin, P. D., 1961, The White Man’s Grave: Image and Reality 1780-1850, Journal of British Studies, 1 (1), pp. 94-110.

Curtin, P. D., 1968, Epidemiology and the Slave Trade, Political Science Quarterly, 83, pp. 190-216.

Headrick, D., 1981, The Tools of Empire. Technology and European Imperialism in the Nineteenth Century, New York : Oxford University Press, 221 p.

Lachenal, G., 2014, Le médicament qui devait sauver l’Afrique : scandale pharmaceutique en Afrique, Paris : La Découverte, 240 p.

Lapeysonnie, L., 1988, La médecine coloniale. Mythes et réalités, Paris : Seghers, 310 p.

Paillard, J., 1935, La fin des Français d’Afrique, Paris : L’œuvre des Français, 208 p.

Piessac [de], 1927, Le devoir social « il faut faire du Noir » ou la régénération de la race nègre, Le Temps.

Sarraut, A., 1923, La mise en valeur des colonies françaises, Paris ; Payot, 56 p.

Wondji, C., 1972, « La fièvre jaune à Grand-Bassam. 1899-1903 », Revue française d’histoire d’Outre-Mer, 215 (2).

II – Sources archivistiques

Archives de l’institut Pasteur de Dakar (IPD) Archives de l’institut Pasteur de Dakar ; IPD (dir) 4, rapport de mission du général Pelletier à Washington, novembre 1944, pièce 6.

Institut Pasteur Outre-Mer (IPOM), 1989, Bibliographie analytique des travaux de l’Institut Pasteur de Dakar et des pastoriens en Afrique de l’Ouest : complément au rapport sur le fonctionnement technique de l’institut Pasteur de Dakar, p. 1.

IPD/Rap, 1936, Médecins indigènes, aide de laboratoire, in Rapport de fonctionnement de l’institut Pasteur de Dakar, p. 2.

IPOM/Dak, 3 août 1939, Correspondance de Durieux, directeur de l’institut Pasteur Outre-mer de Dakar à Valery Radot, directeur de l’institut Pasteur de Paris, 13-102.

Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM) Aix-en-Provence

CAOM, série géographique/Sen/XI, Nouvelles et intéressantes recherches – Les moustiques – Expériences concluantes, 1900, pièce 47.

CAOM, série géographique, dossier 50 ; Mesures sanitaires prises au Sénégal en 1899, épidémie de fièvre jaune en mai 1900-avril 1901, épidémie de fièvre jaune en 1901 (octobre-novembre). Mission Grall, Marchoux et Jaquerez pour l’étude des causes de l’épidémie de fièvre jaune et des moyens d’en éviter le retour, 1901-1904, 1895-1904.

Archives nationales du Sénégal (ANS)

ANS, H16 (AOF), 10 ans de nosologie à l’hospice civil de Saint-Louis (1890-1900).

ANS, H10 (AOF), Correspondance du secrétaire général de l’Union coloniale au gouverneur général de l’AOF, 4 janvier 1900.

ANS, 1H70 (163), Rapport à l’appui de la demande d’exclusion de la Presqu’île du Cap-Vert de la zone africaine d’endémicité amarile présentée par le gouvernement français à la commission de quarantaine de l’Organisation mondiale de la santé, 1953.

Publiée

2022-12-16